Traduit par Juliette Colinas
Dans plusieurs régions du monde, la nature urbaine est en pleine renaissance. Les anecdotes se multiplient, traitant de biodiversité dans les villes, d’infrastructures végétalisées, ou des bienfaits psychologiques de la verdure. Mais l’un des aspects de la nature urbaine demeure sous-estimé : la nature sauvage. Des lieux où personne ne cherche à contrôler la nature. Où elle n’est pas aménagée, améliorée ou modifiée pour satisfaire l’humain. « Il n’y a pas beaucoup de reconnaissance pour ces espaces sauvages dans les villes », dit Dave Kendal, un écologiste de l’université de Melbourne, « et nous espérons que cette publication sensibilisera un peu à ce sujet ».
L’article auquel Kendal se réfère, publié dans la revue Urban Forestry & Urban Greening et coécrit avec son collègue Caragh Threlfall, également écologiste à Melbourne, est une revue de littérature sur les rôles écologiques et sociaux que joue la nature sauvage dans les villes. Les chercheurs dressent une distinction cruciale entre une région sauvage, qui est d’une autre échelle et par définition absente des villes, et la nature sauvage, qui est définie par « une absence d’intervention humaine continuelle » et la liberté des organismes de s’y comporter naturellement. Végétation persistante, espaces abandonnés et terrains vagues, bordures des chemins de fer, grands vieux arbres et terrains délabrés – lesquels varient en taille entre le petit terre-plein central d’une route et des milliers d’hectares de sites post-industriels. Selon Kendal et Threlfall, ils sont sauvages, et ils sont indispensables.
Ces lieux créent des liens entre les espaces reconnus comme étant riches en nature, et permettent d’éviter que les zones d’habitat ne deviennent des îles isolées. Ils peuvent servir de refuges, fournissant des ressources – telles que des fleurs à floraison précoce ou tardive pour les pollinisateurs – qui sont absentes des paysages développés ou fortement gérés. Leur origine ad hoc, façonnée par l’historique de constructions, démolitions, et abandons continuels d’une ville, donne lieu à une mosaïque de végétation. Ces lieux sont structurellement complexes et biologiquement diversifiés, arborant des espèces, des caractéristiques et des processus généralement perdus dans l’ordre de l’aménagement paysager – tels que les invertébrés dans les feuilles mortes, les trous dans les arbres, le bois en décomposition et les soi-disant « mauvaises » herbes.
Il y a aussi des aspects humains à la nature sauvage. Ces lieux sont souvent une source de récréation et, dans les régions où la « jolie » nature est principalement réservée aux gens aisés, « ils constituent une grande partie de l’espace vert disponible dans les zones défavorisées », écrivent Kendal et Threlfall. Alors que le désordre de la nature sauvage était auparavant considéré comme esthétiquement rebutant, les goûts changent : les gens préfèrent souvent la spontanéité à ce qui est méticuleusement modelé. Les espaces sauvages dans les villes offrent une connexion plus profonde avec la nature, ainsi qu’une leçon conceptuelle, permettant aux « enfants d’imaginer un monde qui n’est pas ordonné par les adultes ». Ces espaces, écrivent les chercheurs, « joueront peut-être un rôle plus important dans l’expérience vécue des enfants ».
De surcroît, la nature sauvage offre généralement un bon rapport coût-bénéfice. Après tout, elle ne requiert que de laisser les choses à elles-mêmes. Peut-être pas entièrement – personne ne soutiendrait que de ramasser les ordures ou de réduire la pollution en herbicides représente une entrave à la spontanéité de la nature – mais, au moins, en majeure partie. Et pourtant la nature sauvage urbaine reste largement ignorée. Malgré ses atouts, l’aménagement officiel l’ignore, ou bien la considère comme un espace vierge disponible pour des jardins, des parcs ou de nouvelles constructions. « Les menaces proviennent principalement du développement, des améliorations ou de l’aménagement », dit Kendal. « Les gens ne réalisant pas que ces espaces sauvages puissent être importants ».
« L’innovation est nécessaire si l’on souhaite promouvoir et protéger les espaces sauvages dans les villes », poursuit-il. Et c’est là que repose un apparent paradoxe : pour son plein épanouissement, la nature sauvage urbaine aura besoin d’être planifiée. Certaines villes, particulièrement en Europe occidentale, ont déjà commencé à le faire, et cet effort pourrait être accentué par la tendance actuelle vers une mentalité plus ouverte et mutualiste par rapport à la nature. « Cela représente tout autant un changement dans la façon dont nous pensons à la nature que dans la façon dont nous aménageons les villes », dit Kendall. « Je vois un futur où nous laissons à beaucoup d’espaces, incluant les villes, la possibilité d’être sauvages ».