Tenir compte des animaux individuels dans l’Anthropocène

Traduit de l’anglais par Juliette Colinas.

Lorsque la terre est transformée pour l’usage de l’humain, les impacts environnementaux sont habituellement mesurés en termes de pollution, populations, et d’espèces. À moins que ces dernières ne soient en voie d’extinction, le sort des animaux individuels n’entre pas dans la discussion. Ils sont pratiquement invisibles. Étant donné l’étendue des terres développées par l’humain et l’attention portée au bien-être des animaux domestiques, il s’agit là d’une incohérence majeure.

Les conséquences du développement ne sont pas limitées aux « impacts sur l’environnement et la biodiversité », dit Hugh Finn, professeur de droit environnemental à l’Université Curtin en Australie. « La notion de tort devrait inclure le tort causé au bien-être des animaux sauvages individuels. » Dans une publication dans la revue Wildlife Research, Finn et Nahiid Thomas, un pathologiste de la faune à l’Université Murdoch, appellent à l’inclusion du bien-être animal dans les déclarations d’impact environnemental.

C’est dans les années 1970 que ces déclarations sont devenues une procédure de routine. Or, à cette époque l’idée que les animaux soient des êtres pensants et sensibles était toujours inadmissible dans le milieu scientifique, et les déclarations d’impact reflètent encore la sensibilité de cette époque. Mais la science et la société ont changé depuis. Les preuves de l’existence de l’intelligence, des émotions et de la conscience de soi dans le règne animal sont désormais flagrantes – et pas uniquement pour les créatures manifestement futées et charismatiques, tels les cétacés et les grands singes, mais à travers le règne animal. Ces avancées ont sensibilisé le public à la notion du bien-être animal, et celle-ci, pour les animaux de compagnie, le bétail et les animaux de laboratoire, reçoit aujourd’hui plus d’attention que jamais.

Le bien-être des animaux sauvages, cependant, reste une question secondaire – mais pas pour les animaux eux-mêmes. Tel que souligné par Finn et Thomas, les animaux sont fréquemment tués par la machinerie, les déplacements de terre et le défrichement. Ceux qui survivent se retrouvent bien souvent sans habitat, en compétition sur un territoire radicalement transformé, dépouillé de nourriture et ouvert aux invasions. Ils ressentent de la douleur physique et de la détresse psychologique. Dans les États australiens du Queensland et de New South Wales seulement, Finn et Thomas estiment que de convertir l’habitat pour l’usage de l’humain tue 50 millions de mammifères, oiseaux et reptiles chaque année. À travers le monde, ces chiffres atteignent les milliards.

Selon les standards appliqués aux animaux domestiques, il s’agit là clairement d’un manquement au bien-être animal, et ignorer ce fait constitue un « acte de cécité volontaire », écrivent Finn et Thomas. Ils exhortent les organismes gouvernementaux à « exiger des décideurs qu’ils prennent le bien-être animal en compte lorsqu’ils évaluent les demandes de défrichage des terres ».

Pour ceux qui voient déjà les déclarations d’impact environnemental comme des fardeaux bureaucratiques trop facilement exploités par les adversaires du développement, cela serait probablement une nouvelle fâcheuse. Et il n’est assurément pas réaliste de demander que l’activité humaine ne cause jamais de tort ou de dérangement à un animal sauvage. À cette objection, Finn et Thomas répliquent que de prendre leur bien-être en considération ne veut pas dire de cesser le développement. C’est simplement une question de transparence et de comptabilisation rigoureuse des coûts et bénéfices.

Prendre en compte les animaux individuels « ne prescrit aucun résultat particulier », dit Finn. « Cela permet simplement d’ajouter ces préoccupations aux problématiques que les décideurs doivent prendre en compte ». Certains développements pourraient être stoppés. D’autres pourraient encore se poursuivre, mais en prenant soin de minimiser les torts. Si une Anthropocène respectable reconnait que les humains partagent la planète avec d’autres animaux pensants, nos impacts sur eux doivent être mesurés.

Source: Hugh Finn et Nahiid S. Stephens. « The invisible harm: land clearing is an issue of animal welfare. » Wildlife Research, 2017.

Image: Matt Reinbold / Flickr.

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