Traduit de l’anglais par Juliette Colinas.
Le chant des oiseaux est peut-être le cri animal le plus facilement identifiable. Dans les émissions télévisées ou les films, leur bavardage fournit un raccourci sonore pour l’extérieur; partout, hormis dans les endroits les plus désolés, un accompagnement aviaire peut se faire entendre. Quant à ce qu’ils disent, nous supposons d’habitude que c’est très simple. Ils ont, après tout, des cervelles d’oiseau. Toutefois, plus les scientifiques en apprennent sur le sujet, plus leurs communications paraissent riches, possédant des qualités auparavant attribuées uniquement au langage humain.
Les preuves les plus récentes ont été fournies par les biologistes Sean Cunningham et Robert Magrath de l’Université nationale australienne. Publiant dans la revue Animal Behaviour, ils décrivent une série d’expériences conçues pour décoder les chants de Manorina melanocephela, également appelé Méliphage bruyant, un membre de taille moyenne particulièrement vocal de la famille des Méliphages (« mangeurs de miel »). Cunningham et Magrath souhaitaient savoir si les appels quasi constants des oiseaux pouvaient être qualifiés de ce que les linguistes qualifient de « fonctionnellement référentiel », soit exprimant non seulement un certain état interne – Faim! Frayeur! -, mais se référant également à des objets ou des événements particuliers. Donc, pas seulement des cris, mais quelque chose comme des mots.
Les chercheurs se sont concentrés sur les cris d’alerte, utilisés pour prévenir les autres Méliphages de la présence de prédateurs et particulièrement propices à des expériences dites de réécoute : enregistrer les réactions vocales des oiseaux – soit, dans cette étude, à la menace d’un planeur en forme de faucon ou d’un modèle de faucon perché – et de passer ensuite les enregistrements aux oiseaux pour voir comment ils y réagissent. Ils ont trouvé que les oiseaux produisaient des chants différents pour chaque menace et réagissaient de façon appropriée à chaque enregistrement : figeant après l’avertissement pour un prédateur aérien, et tentant de rejoindre un groupe chasseur de menace après l’alerte pour le prédateur terrestre.
Ces comportements remplissent tous les critères de cris fonctionnellement référentiels. Les Méliphages bruyants sont seulement la huitième espèce d’oiseau pour laquelle on trouve qu’elle démontre cette capacité, et seulement la deuxième dont on trouve qu’elle classe les prédateurs en fonction du comportement ainsi que du type. « Je m’attends à ce que cela se retrouve dans plusieurs espèces d’oiseaux », a dit Magrath lorsqu’interrogé sur la possibilité de retrouver ces nuances référentielles autre part. Et leurs références pourraient comprendre non seulement des cris d’alerte, sur lesquels la recherche s’est concentrée jusqu’à présent, mais la météo, les dynamiques sociales et tout autre élément qui leur est d’importance. « La meilleure preuve provient des cris d’alerte », dit Magrath, « mais il y a des raisons de croire que la communication référentielle existe également pour la nourriture, même chez les poules ».
Il croit également qu’ils pourraient posséder une autre habileté étonnamment sophistiquée : la syntaxe, soit les règles qui permettent aux humains de créer plusieurs sens possibles à partir d’un nombre limité de sons. Dans la revue Current Biology, les biologistes Michael Griesser et Toshitaka Suzuki ont récemment publié la recherche la plus récente sur le Parus minor, la mésange de Chine, un petit oiseau chanteur de la famille des mésanges. Dans des études précédentes, les expériences de réécoute sur les cris d’alerte avaient indiqué que les cris des oiseaux avaient différents sens en fonction de l’ordre dans lequel ils étaient joués.
Dans cette nouvelle étude, Griesser et Suzuki ont fait jouer des enregistrements qu’ils ont créés eux-mêmes en remaniant des cris de Parus minor et d’autres espèces évolutivement voisines. Ces recombinaisons étaient réellement nouvelles, et les oiseaux n’auraient pu les entendre auparavant. « De cette façon, » dit Griesser, « je pense que nous pouvons mieux étudier les processus mentaux qui sous-tendent la compréhension des cris par les mésanges ». Si l’on trouvait qu’elles appliquent les règles d’agencement à ces messages inhabituels, cela constituerait une preuve convaincante qu’elles possèdent une syntaxe. Et en effet, elles l’ont fait : le cri pour « alerte » suivi de « approche » a généré des comportements différents de « approche » suivi de « alerte ». L’ordre des cris leur est important, tout comme l’ordre des mots est important pour nous.
Griesser croit que cette aptitude, longtemps considérée comme unique au langage humain, se retrouve également dans plusieurs autres espèces, tout comme la communication référentielle est peut-être répandue également en dehors des Méliphages bruyants. Le chant des oiseaux n’est pas seulement beau. Il est aussi empreint de sens.
Sources: Magrath, Robert D. et Cunningham, Sean. « Functionally referential alarm calls in noisy miners communicate about predator behaviour. » Animal Behaviour, 2017.
Suzuki, Toshitaka et al. « Wild Birds Use an Ordering Rule to Decode Novel Call Sequences. » Current Biology, 2017.