Une compagnie pétrolière raconte deux histoires différentes sur le changement climatique: une aux scientifiques, et l’autre au public

Traduit de l’anglais par Juliette Colinas

La compagnie pétrolière ExxonMobil a induit le public en erreur sur la science du climat au cours des dernières décennies, selon une étude publiée la semaine dernière dans Environmental Research Letters par les chercheurs Geoffrey Supran et Naomi Oreskes de l’Université Harvard.

Ces conclusions sont basées sur une lecture attentive de 187 documents produits par ExxonMobil entre 1977 et 2014 (et également par Exxon et Mobil avant que les deux compagnies ne fusionnent, vers la fin des années 1990). « Les documents disponibles démontrent une divergence entre ce que les scientifiques et dirigeants de ExxonMobil ont dit à propos du changement climatique en privé et dans les milieux universitaires, et ce qui a été présenté au grand public », écrivent les chercheurs.

Ils concluent : « ExxonMobil a contribué silencieusement à la science, et bruyamment à soulever des doutes à son sujet ».

Supran et Oreskes ont analysé le texte de 53 publications examinées par des pairs portant sur la science et la politique du climat, et auxquelles les scientifiques de ExxonMobil ont contribué depuis 1983; 48 publications additionnelles dévoilées par ExxonMobil; 32 documents internes de la compagnie rendus publics par des journalistes de InsideClimate News; 36 publireportages sur le changement climatique publiés dans le New York Times; et 18 autres documents de ExxonMobil publiquement disponibles.

Pour chaque document, ils ont évalué la position présentée par rapport au changement climatique, en évaluant si le texte communiquait que le changement climatique était réel et causé par l’humain, grave, et soluble, ou bien s’il exprimait des doutes sur ces points. Oreskes et d’autres chercheurs ont précédemment utilisé des aspects de cette méthodologie pour analyser le degré de consensus scientifique sur le changement climatique et la couverture médiatique du sujet.

Globalement, plus les documents de ExxonMobil sont accessibles au public, moins ils reconnaissent l’existence du changement climatique, et plus ils mettent l’accent sur le doute.

Par exemple, 83% des articles révisés par des pairs et 80% des documents internes reconnaissent que le changement climatique est réel et causé par les actions humaines. Mais 80% des publireportages expriment des doutes sérieux à ce sujet.

De même, parmi les documents qui discutent de la gravité du changement climatique, 60% des publications révisées par des pairs concluent qu’il est grave, alors que 62% des publireportages communiquent le doute.

Parmi les documents qui prennent position sur la question à savoir si le changement climatique est soluble, 64% des publireportages soutiennent le doute – c’est-à-dire, ils suggèrent qu’il est soit trop difficile ou trop coûteux d’arrêter le changement climatique. Mais seulement 3% des articles révisés par des pairs et 9% des documents internes de la compagnie prennent cette position.

« De façon significative, entre la fin des années 1990 et du début des années 2000 les publications révisées par des pairs et les publireportages de ExxonMobil publiés les mêmes années se contredisent », écrivent les chercheurs.

Également frappante est la façon dont les différents types de documents ont évolué à travers le temps. Les articles de ExxonMobil révisés par des pairs reconnaissaient que le changement climatique est réel et causé par l’humain dès le début des années 1980, et ont en grande partie continué de le faire jusqu’à maintenant. Mais les publireportages, qui communiquent un doute écrasant, ont seulement commencé à être publiés au milieu des années 1990.

Un publireportage de 1996 présentait un argument négationniste – soit que les particules émises par la combustion des carburants fossiles auront un effet refroidissant – que les scientifiques de la compagnie eux-mêmes avaient rejeté plus d’une décennie plus tôt, dans un document de 1985.

L’ironie la plus profonde dans cette histoire est que cette étude a été produite parce qu’ExxonMobil a été critiquée par les médias, et fait actuellement l’objet d’une enquête par de nombreux procureurs généraux d’État et par la Securities and Exchange Commission des États-Unis pour avoir faussement représenté les risques du changement climatique. Et la compagnie a affirmé que ces allégations sont « basées sur des déclarations délibérément sélectionnées de façon biaisée », et a rendu 100 documents publics en lançant le défi « Lisez tous ces documents et faites-vous votre propre idée ».

Mais les documents présentés par ExxonMobil incluaient des articles examinés par des pairs et des communications internes – et pas les publireportages, qui ont, notent Supran et Oreskes, probablement rejoint un public bien plus étendu. Alors, qui sélectionne de façon biaisée?

Source: Supran G and N Oreskes. « Assessing ExxonMobil’s climate change communications (1977-2014). » Environmental Research Letters. 2017.

Image: ExxonMobil refinery in Joliet, Illinois. Source: airguy1988 via Flickr.

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