Flairer son soi: la conscience de soi chez les chiens, et un changement de paradigme scientifique

Traduit de l’anglais par Juliette Colinas

Depuis les années 1970, la capacité des animaux à se reconnaître dans les miroirs a été utilisée comme critère de base pour déterminer s’ils possèdent une conscience de soi similaire à la nôtre. Or, selon ce critère, cela ne serait le cas que pour une poignée espèces: les dauphins, les autres grands singes, les pies, les raies manta, et peut-être les cochons. La conscience de soi, si fondamentale à notre propre expérience, pourrait être considérée comme une rareté.

Toutefois, le test du miroir a ses critiques. Certains scientifiques disent qu’il discrimine les créatures qui ne dépendent pas de la vision autant que nous le faisons. Débarrassez-vous des miroirs, et utilisez des tests qui sont adaptés aux inclinations sensorielles des autres espèces, et beaucoup plus d’animaux passeraient ces tests. À savoir: les chiens, qui échouent au test du miroir systématiquement, et souvent comiquement, mais qui, lorsqu’on leur fait passer un test basé sur l’odeur, semblent tout à fait conscients d’eux-mêmes.

Dans une étude publiée dans la revue Behavioral Processes, la psychologue Alexandra Horowitz du Collège Barnard décrit un test de reconnaissance du soi basé sur l’olfaction, qui a été administré à 36 chiens domestiques, auxquels l’odeur de leur propre urine ainsi que celle d’un autre chien ont été présentées. De façon peu surprenante, les chiens ont différencié les deux. Ensuite, dans une seconde étape du test, Horowitz a mélangé l’odeur de chacun des chiens avec de l’huile d’anis. Les chiens ont montré un intérêt marqué pour cette odeur altérée, passant plus de temps à la sentir que celle de leur odeur non modifiée ou celle de l’huile elle-même.

Conceptuellement, cela ressemblait à la partie cruciale du test d’autoreconnaissance du miroir, dans lequel un animal utilise un miroir pour étudier une caractéristique de lui-même inattendue, telle que de la peinture que le chercheur aurait subrepticement appliquée à l’arrière de sa tête. « C’est là que l’idée du ‘soi’ peut être introduite », dit Horowitz de cette partie de l’étude. « Hé, quelque chose a changé dans mon odeur! »

Horowitz prend garde à noter que la reconnaissance du soi n’est pas nécessairement la même chose que la conscience de soi. « Moi » pour un chien pourrait vouloir dire quelque chose de très différent de « moi » pour un humain. « La conscience de soi est beaucoup plus riche que de simplement se reconnaître », dit-elle. Cependant, nous savons que d’autres éléments importants constitutifs du sens du soi et des autres dans la conscience de soi humaine se retrouvent également chez les chiens – tels que la mémoire, l’émotion, et les relations sociales.

Pour la plupart des gens qui connaissent les chiens, cela n’apparaîtra pas surprenant. Ils se comportent certainement comme s’ils étaient conscients d’eux-mêmes. Mais les résultats obtenus par Horowitz suggèrent un imprimatur scientifique pour cette intuition. Les résultats semblent aussi pointer vers une question éthique: à la lumière de ces connaissances, allons-nous traiter les chiens, domestiques ou sauvages, de façon différente?

Cela dépasse la portée de la présente étude. Dans l’immédiat, les tests de Horowitz fournissent peut-être un paradigme pour tester d’autres espèces pour lesquelles la conscience de soi reste à être validée scientifiquement. La reconnaissance d’individus apparentés basée sur l’odeur se retrouve à travers le règne animal; peut-être que certains de ces animaux se reconnaissent eux-mêmes de cette façon. « D’autres animaux pourraient être également intéressés par leur propre odeur altérée », dit Horowitz, « mais cela n’a pas été beaucoup testé ».

Source: Horowitz, Alexandra. « Smelling themselves: Dogs investigate their own odours longer when modified in an “olfactory mirror” test. » Behavioural Processes, 2017.

Image: – POD – / Flickr

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