Traduit de l’anglais par Juliette Colinas
Quelques années seulement après qu’elles ne s’échappent, au début des années 1990, de parcs d’élevage au large de la côte d’Allemagne, des populations sauvages d’huîtres du Pacifique se sont établies le long les côtes à l’est du la mer du Nord. Les huîtres étaient invasives et se sont répandues sans restriction, au détriment des moules natives, une source de nourriture du bas de la chaîne alimentaire et importante pour les oiseaux marins de la région. Une catastrophe écologique semblait imminente.
Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit. Vingt-six ans après leur introduction, les huîtres du Pacifique et les moules semblent maintenant coexister. Les communautés résultantes, appelées des « récifs oyssels » par les chercheurs qui décrivent les dynamiques de cette invasion dans la revue Ecosphere, seraient peut-être même encore plus robustes que les moules seules. « L’introduction et la propagation des huîtres du Pacifique a résulté en l’établissement de communautés plus résilientes et plus diverses aux endroits où se trouvaient précédemment les bancs de moules », a dit Karsten Reise, auteur principal de l’étude et écologiste au Centre Helmholtz de l’Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine. « Les récifs d’oyssels vont probablement mieux pouvoir faire face aux défis de l’Anthropocène. »
Durant les premiers stades de l’invasion, les bancs de moules ont constitué des points d’ancrage attirants pour les larves d’huîtres. Il n’a pas fallu longtemps pour que ces bancs deviennent enfouis sous un tapis de ces envahisseurs volumineux à croissance rapide. D’où l’alarme. Toutefois, comme l’a observé l’équipe de Reise, les générations subséquentes de moules se sont installées dans les interstices laissés entre les huîtres. Il n’y a certes pas autant de moules qu’auparavant, mais celles-ci ont persisté – et les communautés résultantes ont des propriétés nouvelles et potentiellement utiles.
Les huîtres s’ancrent plus profondément dans la vase que les moules seules ne le faisaient, dit Reise, si bien que les récifs sont moins susceptibles d’être délogés par de fortes vagues ou par des plaques de glace flottante. Ils sont aussi pré-adaptés à des eaux plus chaudes, ce qui pourrait être commode sur une planète en réchauffement. Les deux espèces ensemble devraient aussi posséder un spectre de réponses aux maladies et au stress plus étendu que chaque espèce prise individuellement. Le tableau n’est pas entièrement heureux – moins d’huîtres implique moins de nourriture pour les oiseaux, mais les récifs oyssels semblent effectivement avoir une richesse d’espèces plus grande.
La trajectoire de l’invasion défie les « notions d’équilibre naturel, de supériorité des combinaisons d’espèces ancestrales sur les nouvelles, et d’espèces étrangères introduites menaçant la biodiversité et la stabilité de l’écosystème en général », a écrit l’équipe de Reise, en se référant directement au débat en cours dans les cercles de conservation, au sujet de si nous ne nous lamentons parfois pas trop hâtivement sur l’introduction d’espèces exotiques. Ce qui ne veut pas dire « que les récifs d’oyssels sont supérieurs aux bancs de moules », écrivent-ils; cela serait « trop simpliste ». Le fait est que le phénomène des invasions lui-même n’est pas simple.
« Cette conclusion est spécifique aux huîtres du Pacifique sur les côtes européennes », dit Reise. « Avec d’autres espèces introduites, le résultat pourrait être similaire ou très différent. La leçon est qu’il ne faut pas mettre toutes les espèces exotiques dans la même boîte conceptuelle. »
Source: Reise et al. « Invading oysters and native mussels: from hostile takeover to compatible bedfellows. » Ecosphere, 2017.